Pourquoi la Dresdner Bank, troisième banque allemande, a-t-elle attendu 60 ans pour admettre avoir financé la construction des chambres à gaz d'Auschwitz ? Ou avoir travaillé main dans la main avec la Gestapo et la SS pour s'approprier des entreprises juives ? Les dirigeants de la banque n'ont toujours pas répondu à cette question. Mais la publication du rapport intitulé "La Dresdner Bank dans l'économie du troisième Reich", commandé en 1997 par la banque et rédigé par une commission indépendante de quatre historiens, constitue un tournant important dans la ligne de conduite de l'institution qui assume enfin ses responsabilités.

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La Dresdner Bank a été fondée à Dresde en 1872 par deux familles juives. Elle ne survit à la crise de 1929 que grâce à une aide de l'Etat qui en prend alors le contrôle. Deux ans plus tard, le régime nazi renforce son emprise sur l'établissement en nommant deux membres de la SS dans son directoire. Après une rapide épuration du personnel juif, la banque participe alors activement à l'aryanisation de l'économie par le régime hitlérien : "L'exploitation ciblée de la détresse de leurs partenaires juifs et le travail d'équipe avec l'administration, le parti nazi et la police appartenaient au répertoire et à la stratégie de la banque", note ainsi le rapport. Plus que les autres grandes banques allemandes, la Dresdner Bank a soutenu le régime nazi. Elle a abrité les comptes de l'élite SS et notamment d'Heinrich Himmler, son chef, qu'elle alimente en "fonds spéciaux". Parfois surnommée la "banque SS", elle a aussi été un rouage essentiel dans l'économie des camps de la mort, gérant les comptes d'entreprises SS, finançant en partie la construction des camps de concentration, et recyclant l'or volé sur les cadavres des déportés : "Notre responsabilité est lourde. Il y a eu une faillite totale des élites. Les banques, en particulier, ont des contacts avec l'ensemble des secteurs économiques et, de ce fait, elles portent une plus grande responsabilité dans le bon fonctionnement d'une société démocratique", estime Herbert Walter, actuel PDG de la Dresdner Bank.

"La compromission de la Dresdner Bank, qui a repris après la guerre son activité avec quasiment les mêmes dirigeants n'est pas une révélation. Mais ce rapport va apporter de nombreuses précisions sur le destin des juifs spoliés et sur l'aryanisation de l'économie allemande", précise l'historienne Beate Schröder, fondatrice de l'entreprise de recherches historiques Facts & Files. Pour elle, la publication du rapport est un pas essentiel, car la Dresdner Bank fut l'une des entreprises allemandes les plus impliquées dans le nazisme : "Mais n'oublions pas que c'est surtout la crainte d'être confronté à un boycott et à une vague de plaintes, principalement de la part de clients juifs américains, qui a poussé la Dresdner Bank à ouvrir ses archives".

En fait, le constructeur automobile Volkswagen est l'une des seules grandes entreprises allemandes à ne pas avoir exhumé son histoire sous la pression de l'opinion publique. Jusqu'en 1998, Bertelsmann, géant allemand de la communication, a maintenu avoir été le seul éditeur allemand non juif à avoir été persécuté par les nazis alors qu'il éditait les passeports du IIIème Reich. De même, Daimler Benz a longtemps minimisé l'emploi de travailleurs forcés, pourtant "recrutés" en masse dans les camps de concentration. "Sans pression extérieure, cela ne marche pas", estime Elizabeth Timm, historienne qui a connu quelques déboires en écrivant l'histoire d'Hugo Boss, fabricant de prêt-à-porter allemand. L'entreprise a employé des travailleurs forcés et, surtout, taillé les costumes de la SS. Mais le travail de l'historienne a effrayé la direction qui en a bloqué la publication : "Je n'ai pas compris. Le cas de Hugo Boss n'est pas reluisant mais il n'est pas comparable à celui de la Dresdner Bank. Il a fallu que je rende moi-même l'étude publique sur Internet", s'étonne-t-elle. Du côté de chez Hugo Boss, à Metzingen, on admet à mots couverts que le réveil du passé a provoqué un malaise et que "l'affaire" n'a pas été menée de manière optimale : "Il est vrai que nous n'abordons pas cette question sur notre site Internet, mais l'étude peut être consultée aux archives municipales", explique Philipp Wolff, porte-parole d'Hugo Boss, qui promet néanmoins que son entreprise entend désormais assumer son passé plus activement. Mieux vaut tard que jamais.

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